Wladimir.
C'tait ce que l'on avait coutume d'appeler un bel t. Le soleil matinal de cette fin de juin 1955 caressait de ses rayons chauds et dors les toits en panneaux onduls et les murs de planches recouverts de crpi gristre des baraques de la Ferme de Schoeneck. Sous la douce lumire matinale, la cit en planches si grise et monotone durant la mauvaise saison, revivait l'approche des beaux jours. D'clatants massifs de fleurs plants dans les jardinets s'panouissaient en larges taches lumineuses et colores et les lourdes branches d'arbres fruitiers croulaient sous le poids des fruits savoureux et parfums qui mrissaient lentement sous la chaleur tendre de cette merveilleuse saison des vacances. Il tait sept heures du matin. Wladimir, un petit ukrainien de 6 ans, au regard bleu et aux cheveux blonds comme les bls, dbarqu depuis peu avec sa famille dans cette cit ouvrire provisoire, ouvrit lentement, en faisant bien attention de ne pas  faire de bruit, la porte de la cuisine qui donnait sur le perron de sa baraque... Il resta debout pendant quelques secondes ct de l'entre, retint son souffle et couta, l'oreille colle la porte, si le bruit qu'il avait fait en se levant pour  sortir de la maison n'avait pas rveill ses parents. Quand il eut la certitude de ne pas tre drang, il dvala en courant les cinq marches en pierres de l'escalier donnant sur le jardin et courut droit vers la palissade qui sparait la maisonnette de la ruelle. Il escalada sans effort le petit difice fait de rondins de bois, puis grimpa avec agilit sur le cerisier plant cot de la porte d'entre du jardinet. L'arbre croulait sous le poids des fruits et, en quelques secondes, Wladimir avait rempli ras bords, les poches de son short avec de grosses cerises croquantes et parfumes
Une fois sa cueillette termine, il sauta avec agilit de la branche sur laquelle il tait assis et se retrouva terre dans l'alle du jardin. Il fit un prompt rtablissement puis s'chappa, toujours en courant, par le portillon en bois qui s'ouvrait sur la rue. L'enfant aimait cette heure matinale. La cit silencieuse et endormie lui laissait l'impression que le monde lui appartenait. Pendant ce moment privilgi de la journe, tout n'tait que calme et srnit. Le soleil, bien que bas dans le ciel, inondait dj la colline de ses premiers rayons chauds et bienfaisants et la nature s'veillait, berce par le chant mlodieux des oiseaux et par le murmure imprcis et lointain de la vie qui pulsait. Cette douce symphonie pastorale n'tait interrompue que par les aboiements rauques d'un chien fou ou par le bruit sourd d'une porte ou d'une fentre qui s'ouvrait et se refermait au loin. Derrire les vastes champs qui longeaient la limite des jardins, de temps autre, le vrombissement d'un moteur de voitures ou de mobylette roulant sur la route de Forbach, indiquait au gamin que petit petit, le monde des adultes s'veillait. Il tait bientt sept heures et les habitants de la cit allaient se lever les uns aprs les autres pour vaquer leurs occupations quotidiennes.
Comme il le faisait souvent, Wladimir s'tait assis sur le bas-cot de la ruelle, les pieds dans le caniveau, en face de sa baraque pour dguster, avec mthode, son festin de cerises parfumes ()
Le cochon de la famille Morico
Durant les premires annes, la cit de baraques de la ferme de Schoeneck, la vie tait difficile pour tous. Non seulement pour les pres de familles qui travaillaient dur dans les mines de charbon, mais galement pour les mamans qui avaient la charge des affaires courantes de la maison. En ce temps l, on ne parlait pas encore d'lectromnager et le travail quotidien des mres de familles se faisait encore la main. Ainsi, de l'aube, jusque tard dans la nuit, elles taient affaires rgler les nombreux soucis familiaux et entretenir la maisonne pour la garder propre et accueillante. Une des principales proccupations de toute mre de famille tait de faire en sorte qu'il y eut tous les jours quelque chose manger dans l'assiette des enfants et de du mari. Pour pouvoir offrir une nourriture de qualit au moindre prix leur famille, la plupart des habitants levaient des poules, des lapins, des oies et certains avaient mme une vache. Mais dans ce rcit, nous parlerons plutt d'un cochon, le fameux cochon de la famille Morico Tous les ans, vers le printemps, quelques paysans s'arrtaient avec leur camionnette aux rond-points, sur la rue principale pour vendre leur production de porcelets aux habitants de la cit. Beaucoup de familles profitaient de cette opportunit et c'est ainsi, par une belle journe de printemps, que Monsieur Giovanni Morico, ouvrier mineur d'origine sicilienne, dcida son tour d'investir la modique somme de 3000 francs de l'poque dans l'achat d'un porcelet en parfait tat de marche. L'investissement promettait d'tre rentable, car cet argent, fruit d'une longue pargne, devait se transformer en quelques mois en une montagne de saucisses, jambon et autres ctelettes destines amliorer de faon substantielle les modestes repas quotidiens. N'ayant pas d'endroit spcialement prvu pour accueillir le bb cochon, les Morico dcidrent d'un commun accord de le mettre dans le cagibi, ce petit rduit situ entre les deux entres de chaque baraque. Dans la foule, ils baptisrent du nom de 'Gina', ce nouvel animal domestique qui fit pendant quelques semaines la joie de la famille et des voisins tant il tait affectueux et joueur. L'animal passait ses journes gambader entre le cagibi et le logement en poussant de petits cris de joie, signes vidents de son bien-tre au sein de sa famille d'adoption... Hlas, l'inconvnient avec les bbs cochons, surtout lorsqu'ils sont bien nourris, c'est qu'ils grandissent vite. Au fil des semaines, Gina grandissait en poids et en taille et se transformait petit petit en un immense cochon gras, vorace et envahissant. Une solution rapide s'imposait et, c'est sur le chemin de l'cole qu'Horace, le fils an des Morico, en fit part ses amis. Madame Morico, lasse des dgts occasionns par l'animal dans l'appartement, avait dcrt sans ambigut qu'il tait plus que temps pour Gina de quitter la maison et qu'il devenait urgent de lui construire une espce de cabane au fond du jardin dans lequel l'animal pourrait s'panouir son aise () (Rcit crit en collaboration avec Joe Surowicki)
Wolfgang 
Lorsque la famille Baumann dbarqua dans la cit de baraques en cette fin de samedi aprs-midi d'automne 1955, Wolfgang n'tait qu'un gamin d'une dizaine d'annes. Il se rappelait trs bien du vieux et ptaradant camion de livraison de pommes de terre qui avait amen les meubles et les maigres bagages de la famille dans la cit. La deuxime image qui restait grave au fond de sa mmoire d'enfant tait celle d'une longue et interminable enfilade de baraquements gristres se dcoupant sur un lourd ciel d'automne aux nuages bas, et de la pluie fine et glace qui traversait ses vtements lgers.
Les Baumann taient une de ces familles nombreuses comme il en existait beaucoup l'poque. D'origine allemande, ils taient arrivs en France en 1952 et avaient d'abord habit dans la petite ville minire de Petite-Rosselle, un hameau situ cheval sur la frontire franco-allemande. Plus tard, ils avaient atterri au "Bruch", un quartier de Forbach o ils vivaient depuis quelques mois dans un des nombreux baraquements provisoires qu'ils partageaient avec une famille d'ouvriers immigrs arabes. Ici, dans cette cit construite au cur de la fort, l'cart du village de Schoeneck, les Houillres leur avaient allou un logement plus spacieux, c'est dire une baraque entire, dans laquelle ils allaient enfin pouvoir vivre seuls, dans l'intimit d'une vritable famille.
Au "Bruch", Wolfgang se souvenait avoir dormi pendant plusieurs mois avec ses frres et surs sur des sacs en toile de jute remplis de foin, et le simple fait de possder maintenant un lit en fer avec un vrai matelas tait pour lui un signe avant-coureur d'une promotion sociale qui s'tait trop longtemps fait  attendre. Tous les membres de la famille, grands et petits, avaient aid dcharger le camion, lequel, bien que gar sur le bas-cot, occupait presque toute la largeur de la route. Il fallait rapidement rentrer tout le fourbi l'abri, l'intrieur de la baraque, pour que le chauffeur puisse repartir dans les meilleurs dlais vers une autre destination. Les rares meubles, ainsi que l'immense cuisinire charbon que la famille possdait, furent stocks provisoirement dans la premire pice du logement, la future cuisine. Ils y entassrent ple-mle la grande table en tle laque, les lits et les matelas, quelques chaises dpareilles ainsi qu'une immense armoire en pin, patine par le temps, dernire pice d'un vague et lointain hritage familial. Les enfants dchargrent en dernier les valises et les cartons dans lesquels les parents avaient emball tant bien que mal les vtements et les babioles fragiles accumules au fil des ans. Que de souvenirs et d'motions enfouis au fond de chacun de ces emballages anonymes... Tous ces objets, insignifiants en apparence, taient comme autant d'infimes parcelles de vie que l'on dballait avec un pincement au cur. Madame Baumann, en mre attentive et soigneuse, extirpait avec des gestes mesurs tous ces objets banals mais tellement chargs d'motions. Elle en tira d'abord deux petites voitures mcaniques en tle que l'on pouvait remonter l'aide d'une cl et une poupe en Cellulod toute bossele, puis quelques ustensiles de cuisine miniatures avec lesquels jouait une des filles. Elle hocha la tte en souriant quand une feuille de papier carreaux orne d'un dessin "Bonne fte maman", tomba d'un des cahiers d'cole du plus jeune de ses garons. Elle feuilleta les pages ornes de frises colores et se souvint avec tendresse de ces soirs o les enfants faisaient leurs devoirs pendant qu'elle tricotait assise au coin du feu. Comment serait l'cole ici dans la cit ? Elle n'en savait encore rien, elle n'avait vu en passant qu'une baraque flanque d'une  grande cour clture qui devait tre l'cole ()
Giovanni
Giovanni Larossa dit Gino tait, l'poque de son arrive en France, un jeune homme d'une vingtaine d'annes. Trapu, court sur pattes et lgrement empt, il avait ce teint de peau mat qui caractrisait les Italiens de l'extrme sud de la pninsule. Le visage rond aux traits un peu lourds surmont d'une chevelure noire comme de l'bne confirmait sans ambigut les origines l'vidence mditerranennes du personnage. Mais, ce qui frappait au premier abord ses interlocuteurs, c'tait ce regard brillant et malicieux de fouine que jetaient ses yeux sombres lgrement enfoncs dans leurs orbites et cette bouche aux lvres fines surmonte d'une moustache noire toujours impeccablement rase.
S'il est vrai que le sourire clatant qu'il savait arborer au bon moment lui donnait un air sympathique, tous ceux qui avaient, pour une raison ou pour une autre,  un jour crois son chemin avaient rapidement compris que Giovanni Larossa tait une ordure de la plus belle espce Il s'tait engouffr la veille dans un des wagons de ce  train spcial en partance pour la France qui faisait halte en gare de 
La Sila, la ville la plus proche de son hameau montagnard Calabrais. Deux jours plus tard, il quittait ce mme wagon, une valise en carton ferme par une ficelle la main, et dbarquait sur le quai de la petite gare de Forbach au matin du 18 Avril 1956 ()
Robert
Si la Ferme de Schoeneck a su accueilli nombre de personnages hauts en couleurs, voire excessifs,  Robert tait sans aucun doute un de ceux qui ont marqu d'une empreinte indlbile tous les endroits par lesquels ils ont transit. Il tait d'originaire Sarroise et avait bourlingu travers la plupart des pays de cette Europe qui cherchait encore ses marques avant d'atterrir  avec sa femme et ses trois enfants dans un de ces baraquements en planches de bois de la "Ferme de Schoeneck".
g d'une trentaine d'annes, ce gant de plus de 100 kilos, tout en chair et en muscles, n'avait que deux amours dans sa vie; son vieux fusil 5 mm balles "Bosquet" et sa moto 125 cm Terrot. Robert tenait ces objets comme la prunelle de ses yeux. et personne, dans son entourage n'aurait os provoquer sa colre en dnigrant l'une ou l'autre de ces passions auxquelles il vouait un culte tout particulier. Bien qu'il passt le plus clair de son temps les bichonner, ces deux produits manufacturs de grande srie ne lui donnaient pas les satisfaction auxquelles il aurait eu droit. La moto, plus souvent en panne qu'en tat de marche, laissait beaucoup dsirer sur le plan de la fiabilit mcanique et le manque de prcision de tir de son fusil faisait les gorges chaudes du voisinage qui ne manquait jamais de ricaner sous cape ds que le grand Robert avait le dos tourn.
Le fusil ne lui servait d'ailleurs plus qu' tirer sur les innombrables souris qui envahissaient depuis quelques mois sa cuisine.
Vers minuit ou 1 heure du matin, quand tout tait calme et endormi, Robert s'asseyait, son fusil charg la main, sur une chaise dans la cuisine pour faire le guet et surprendre l'envahisseur. De temps en temps, au plus profond de la nuit, une dtonation sche rveillait la famille et parfois les voisins immdiats, mais plus personne ne s'en inquitait. ()
Uta
La salle de classe de l'cole primaire du village tait tellement silencieuse que l'on entendait rellement deux ou trois mouches voler en tourbillonnant autour des pupitres en chne patins et luisants. Dans ce silence quasi-religieux, les petites lves du cours lmentaire de la classe de filles que dirigeait Madame Pasquier crivaient une longue dicte dans leurs cahiers de composition. Madame l'institutrice tait une femme de caractre et, dans sa classe, elle faisait marcher son petit monde la baguette. Elle ne tolrait aucun manquement la discipline et savait faire appliquer le rglement dans toute sa rigueur. Madame Pasquier tait svre mais juste. Si une de ses lves se voyait infliger une punition, c'tait tout simplement parce qu'elle l'avait mrit.
Madame Pasquier, institutrice depuis plus de vingt ans, tait galement une personne trs ordonne. Sur son immense bureau taient aligns en ordre parfait sa pile de livre, le gros encrier rouge pour les corrections ainsi qu'une boite de craies multicolores. Elle possdait galement une longue rgle en bois avec laquelle elle faisait suivre ses lves les phrases crites sur le tableau noir ou le nom des rgions sur la grande carte de France en couleur. On tait Mercredi aprs-midi, il tait trois heures et cet exercice de Franais serait le dernier de la journe. Tout en surveillant sa basse-cour du coin de l'il, elle dictait d'une voix claire  et ferme un texte aux pluriels compliqus qu'elle avait spcialement choisi pour la circonstance.
- Les chevaux galopaient dans les champs... dans les champs... et des oiseaux... des oiseaux... volaient dans le ciel bleu...   
Le ciel tait effectivement bleu, se dit la petite Uta en regardant par la fentre qui donnait sur la cour. C'tait l't et il faisait une chaleur touffante. Comme les autres lves, elle attendait avec une impatience mal contenue la fin de cette longue journe laborieuse aprs laquelle elle pourrait enfin retrouver sa famille.
Uta tait une de ces nombreuses gamines qui descendaient tous les jours par la route de la "Ferme", puis traversaient la fort de pins et de htres pour se rendre l'cole du village. Comme elle habitait dans les derniers baraquements, situs aux confins de la cit, il lui fallait une bonne vingtaine de minutes pour couvrir les deux kilomtres qui la sparait de la cour grillage de l'cole.
En t, quand il faisait lourd et chaud comme aujourd'hui, elle s'arrtait toujours sur le chemin du retour et s'asseyait l'ombre d'un htre ou d'un sapin pour faire ses devoirs du lendemain ()
Il avait bu, comme d'habitude...
- Vous savez, Monsieur Stein... Maintenant vous pouvez appeler la Polizei... Le vieux ne bouge plus et il y a du sang partout.... Il s'tait couch pour dormir et venait peine de s'assoupir... Alors j'en ai profit pour l'gorger comme on gorge un porc... Il tait d'ailleurs devenu un vritable porc... Maintenant c'est fini, il ne me frappera plus et les enfants n'auront plus peur de rentrer quand il est saoul... Appelez la Polizei Monsieur Stein, s'il vous plat... Je n'ai plus peur maintenant... Je suis heureuse que ce soit fini...
Madame Stakovski s'tait engouffre en courant  dans l'entre du jardin du voisin et racontait dans un Allemand hsitant entrecoup de Polonais aux voisins mduss qu'elle avait enfin mit fin son calvaire.
- Vous comprenez, c'est le Schnaps et la bire qui ont fait tout a... Avant, j'tais heureuse mais il buvait tellement... S'il vous plat Monsieur Stein... Allez chercher la Polizei... Il faut maintenant le sortir de la chambre... Tout est rouge de sang, il ne faut pas que les enfants voient le sang quand ils rentreront de l'cole ()
Guiseppe
Monsieur Salvatore Chiaravelli habitait depuis quelques mois dans un des baraquements de la Ferme de Schoeneck lorsqu'il dcida d'y faire venir Maria, sa femme, et leur fils Guiseppe, g alors de dix ans, de leur pays natal, d'Italie...
Pour la petite histoire, sachez simplement qu'aprs la guerre et une vie mouvemente dans son pays d'origine, le pre Chiaravelli avait sign un engagement volontaire dans les rangs de la lgion trangre et avait vaillamment servi pendant une dizaine d'annes sous les couleurs internationales du drapeau de ce  rgiment d'lite. Lorsqu'en 1956, son contrat militaire arriva terme, il partit, comme nombre de ses compatriotes, vers la France, terre d'accueil d'immigrs de toutes origines, afin de se faire embaucher comme ouvrier mineur aux Houillres du Bassin de Lorraine. A cette poque bnie il y avait dans notre rgion plus de travail que de main d'uvre et les bras vigoureux taient les bienvenus quelles que soient leurs origines. Il se retrouva donc, comme des dizaines de ses compatriotes, mineur de fond au Puits Simon et locataire titre gratuit d'un demi-baraquement dans la cit provisoire de la Ferme de Schoeneck. Son fils unique, Guiseppe, coulait jusqu' ce jour d't 1956 des jours tranquilles dans la merveilleuse ville  de Venise, entour de l'amour de sa mre, qui exerait le mtier d'institutrice, et de l'affection d'un grand-pre maternel lgrement farfelu. Ce dernier s'tait malheureusement ruin en investissant toute la modeste fortune familiale dans l'dition d'un livre illustr sur l'arme Italienne, ouvrage dont il n'avait russi vendre l'poque que quelques rares exemplaires...
Les Chiavarelli taient une vieille famille de souche Vnitienne, vivant depuis plusieurs gnrations dans la ville aux quatre cents ponts admirablement immortalise dans les sublimes tableaux de Bellini et de Vronse ()
Mohamed
C'tait au dbut de ce que nos historiens continuent pudiquement appeler  "les vnements d'Algrie" que Mustapha Tessnaoui tait arriv en France avec  sa famille. Son Fils aine Mohamed avait quatorze ans et le pre Tessnaoui l'avait immdiatement fait entrer comme apprenti mineur l'cole des mines des Houillres du Bassin de Lorraine du puits Simon.
Le premier contact de l'adolescent avec la cit de la "Ferme" ft rude pour ce jeune Kabyle filiforme habitu vivre sous un climat et un dcor totalement diffrents. Il tait originaire d'une rgion de montagnes dsertiques faite de sable et de rochers brls par le  soleil. Ce pays de Lorraine la vgtation luxuriante et verte tait pour lui une plante nouvelle qu'il  dcouvrait chaque jour un peu plus. Tout tait diffrent ici. Dans ce pays de cocagne poussaient des mirabelles, des cerises et des prunes avec lesquels les paysans faisaient un liquide qu'ils appelaient du "Schnaps". Chez lui, au pays, la religion interdisait l'alcool sous toutes ses formes et il tait inconcevable qu'on puisse vivre ainsi dans le pch et sans craindre le chtiment d'Allah ()
Le quotidien
Richard ouvrit les yeux et tourna machinalement la tte en direction de la fentre. Un rai de lumire blafarde filtrait travers la jointure des volets et baignait la pice dans une atmosphre laiteuse. Des ombres fantomatiques et imprcises se dcoupaient sur les murs de planches nues. Seul le tic-tac rgulier et monotone d'un vieux rveille-matin pos sur la table de nuit meublait le silence lourd et oppressant qui rgnait dans la pice. Les nuits d'hiver taient de plus en plus froides dans ce baraquement de la "Ferme de Schoeneck" et le feu dans la cuisinire s'tait teint tt dans la soire faute de combustible. Comme d'habitude, il ne restait pas le moindre  morceau de charbon dans la maison et le froid avait rapidement prit le dessus...
- Ca va encore tre moi de me dbrouiller pour aller en voler cet aprs-midi le long de la voie ferre, marmonna Richard en se soulevant pniblement du lit. Le vieux sommier grina plaintivement pendant quelques secondes. On tait lundi, une nouvelle semaine allait commencer et il devait se lever pour ne pas rater le poste du matin. La lassitude qu'il ressentait dans tous ses membres tait due en grande partie la courte et mauvaise nuit qu'il venait de passer...
Tout avait commenc vers minuit hier soir. Des pleurs et des cris d'enfants avaient rveill Richard qui s'tait lev une premire fois pour regarder travers la fentre ce qui pouvait bien se passer devant chez lui une heure aussi inhabituelle. Il avait vu travers les carreaux embus, la ribambelle des cinq enfants Gauthier, un voisin habitant la rue adjacente, qui marchaient au cur de la nuit sur l'troite route enneige et verglace. Vtus de leurs seules chemises de nuit et de leurs pantoufles, les trois garonnets et les deux fillettes se dirigeaient en pleurant vers le haut de la cit pour aller se rfugier chez une famille amie. Richard avait longuement hoch la tte en suivant du regard cette procession  bouleversante. Il en avait conclu que le pre Gauthier tait de nouveau ivre, et qu'il avait battu comme d'habitude sa femme et fait fuir ses enfants apeurs de la maison. C'tait la seule explication logique et plausible cet trange et triste ballet nocturne. Dcidment, penst-il, dans cette cit perdue plus rien n'tait normal depuis quelque temps...                                                                                                                                                 
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